Le surréalisme inspire les créateurs
Entre pastiches de Magritte, hommages au trompe-l'oeil et à Schiaparelli, la mode célèbre ce printemps son âge d'or surréaliste. Ce printemps, les créateurs mettent en avant des collections inspirées du surréalisme, époque bénie où la mode s'ouvrait à la subversion par le rêve et l'art, posant par là même les bases de sa modernité. Décryptage. Dans son autobiographie La Vie secrète de Salvador Dali(Gallimard), le peintre catalan raconte comment le Paris de la seconde moitié des années 1930 aura été marqué, "non par les polémiques des surréalistes du café de la place Blanche, ou par le suicide de mon grand ami René Crevel, mais par la maison de couture qu'Elsa Schiaparelli allait ouvrir place Vendôme. C'est là qu'eurent lieu des phénomènes morphologiques; c'est là que l'essence des choses allait être transsubstantiée, c'est là que la langue de feu du Saint-Esprit de Dali allait descendre". Ainsi en fut-il. Dès 1936, ils réalisèrent ensemble une série de tailleurs et de manteaux dont les poches ressemblaient à de minuscules tiroirs, clin d'oeil au tableau de Dali Le Cabinet anthropomorphique. La même année, il dessina un homard -l'une de ses métaphores sexuelles favorites, avec le téléphone-, entouré de brins de persil sur le devant d'une jupe de "Schiap'". La couturière refusa néanmoins que le peintre y étale de la vraie mayonnaise... Mais l'essentiel était là. Grâce à ces collaborations -avec Cocteauégalement-, Schiaparelli allait changer la face de la mode. Plus jamais le vêtement ne serait un simple vêtement. Avec elle, les chaussures se transformeraient en chapeaux, les prosaïques fermetures Eclair et le plastique investiraient la haute couture. Bref, la mode allait s'ouvrir à la liberté de l'art, au pouvoir du rêve et de l'ironie. La nouvelle campagne publicitaire Diane von Furstenberg pastiche l'univers onirique et symboliste du peintre Magritte.
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"J'ai toujours été inspiré par le travail de Schiaparelli, par le fait d'ajouter des éléments légèrement subversifs, non pas des choses compliquées ou effrayantes, mais des objets empruntés à la vie quotidienne et utilisés d'une manière différente, sublimée", expliquait Giles Deacon à propos de sa collection printemps-été 2012. Un défilé sous le signe du cygne, clôturé par l'apparition d'une Leda moderne, coiffée d'un chapeau en plumes écarlates en forme d'oiseau. Normal, pourrait-on dire de la part de ce créateur anglais qui a longtemps été pressenti pour reprendre la maison parisienne, rachetée en 2007 par Diego Della Valle(patron de Tod's et de Roger Vivier) mais demeurée jusque-là une Belle Endormie.
Pourtant, Giles Deacon n'est pas le seul à revendiquer aujourd'hui son héritage surréaliste. Une femme pose sur fond de désert, la tête dans les nuages ou plutôt, des nuages dans la tête. Dans sa nouvelle campagne publicitaire, Diane von Furstenberg pastiche les univers symbolistes de Magritte et deDali, tous deux mis à l'honneur en 2012 -le premier à l'Albertina Museum, à Vienne (Autriche), le second au Centre Pompidou, en novembre prochain. Minaudière coquillage, détail du défilé Chanel, printemps-été 2012, inspiré par l'univers sous-marin.
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Quant à Miuccia Prada, elle dialoguera ce printemps avec Elsa Schiaparelli auMetropolitan Museum of Art, à New York, dans ce qui s'annonce comme l'exposition mode de l'année, avec casting de rêve (le réalisateur Baz Luhrmann en consultant à la création). Fait extraordinaire, la couturière italienne, disparue en 1973, s'entretiendra avec sa compatriote sur des sujets aussi sérieux que la création, la politique ou l'art, l'une de leurs nombreuses passions communes.
Ainsi, à l'heure où le rationalisme et la rigueur -économique mais aussi morale- s'imposent comme les valeurs cardinales de l'époque, les créateurs réactivent le fantasme d'un âge d'or surréaliste. Cette époque bénie où la mode rencontrait l'art et participait à l'une des plus grandes révolutions esthétiques du XXe siècle. Dans laquelle elle construira pour beaucoup le vocabulaire de sa modernité.